Le pays du Mont-Blanc

« Grand est mon étonnement chaque fois que des personnes me disent, devant l’un des paysages de nos Alpes, qu’un commentaire géologique ne leur apporterait rien, voire même qu’il risquerait de le leur « dépoétiser ». Quelle erreur ! Pour qui a commencé à y goûter, l’interprétation géologique des traits du relief est au contraire une richesse supplémentaire dont on ne peut plus se passer, car cela confère véritablement aux paysages plusieurs dimensions supplémentaires.
D’abord, l’image que nous percevons de la montagne y gagne une sorte de transparence, du fait que nous imaginons comment les roches s’organisent dans la profondeur des massifs et comment elles se disposaient « dans le ciel », là où elles ont été enlevées par le travail de l’érosion. De plus, cette lecture de la géométrie rocheuse sous-jacente au paysage conduit à se demander comment les agencements rocheux ainsi devinés se sont réalisés, et au cours de quels évènements. On passe alors de la dimension, encore spatiale, des structures « tectoniques » à une nouvelle dimension, temporelle, qui est celle de l’histoire géologique : comment ces masses rocheuses ont-elles pris leur place et acquis leur disposition actuelle ? quel était l’aspect de la région aux diverses époques géologiques ? La part du rêve devient énorme et l’on éprouve une sorte d’ivresse devant le champ des possibles ouvert à l’imagination…
Voilà ce qu’illustre à merveille l’ouvrage de Michel Delamette : il a l’ambition de nous conduire très loin dans la compréhension des diverses facettes de la géologie locale du Pays du Mont-Blanc, mais, pour le faire, il a décidé de partir de l’observation des affleurements et des paysages qui défilent sous les yeux de l’excursionniste. Il applique ainsi un principe dont toute mon expérience d’enseignant m’a montré la validité, principe selon lequel c’est l’observation concrète, sur le terrain, qui est la porte royale d’entrée dans la curiosité scientifique. Cet abord, très naturaliste, donne la primauté à l’observation (manière de faire dont trop d’universitaires actuels tendent malheureusement à s’éloigner, en privilégiant les théories par rapport aux « humbles » faits de terrain). Il part de l’analyse précise de faits visibles pour construire une vision interprétative de l’environnement actuel.
Ce livre gagne son défi par les qualités de son texte et parce qu’il utilise une illustration abondante, choisie avec pertinence et portant sur les différents niveaux d’observation, jusqu’à celui de l’échantillon, tout en veillant à replacer les détails observables dans un ensemble intellectuellement cohérent. Il le fait avec une grande maîtrise et en tenant compte des données les plus récentes et les plus avancées. Par ces caractères, cet ouvrage, qui s’adresse au grand public, atteint un niveau tel qu’il est utilisable aussi, et avec grand profit, par le professionnel de la géologie.
J’en ai maintenant assez dit pour vous avoir incité à apprécier vous-même ce livre : vous découvrirez vite que sa lecture, destinée en principe à diriger vos pas, vous sera également agréable et fructueuse, que ce soit pour revenir par la pensée sur les itinéraires que vous avez déjà suivis ou pour découvrir, de chez vous, les richesses géologiques des environs du Mont-Blanc. Je suis sûr, en tout cas, que cette lecture vous donnera l’envie de visiter les Alpes avec l’œil du géologue et d’en tirer ainsi un plaisir grandement accru. »
Maurice GIDON
Professeur honoraire de Géologie à l’Université de Grenoble
(auteur du site internet www.geol-alpes.com)