« Ma première rencontre avec Jean-Pierre, c’était à bord du Triton, magnifique unité de recherche du GISMER, le Groupe d’Intervention et d’Études Sous-Marines de la Marine Nationale. C’était il y a bien longtemps.
Le Triton repose maintenant par plusieurs milliers de mètres de fond, victime des missiles du Levant, comme de nombreux navires désaffectés de la Marine, qui auraient pu terminer paisiblement leur vie en magnifiques récifs artificiels le long de nos côtes.
Nous étions invités, Jean-Pierre et moi, à bord de ce très beau bâtiment, commandé par le Capitaine de Frégate, Max Guérout.
Le commandant, fier de nous faire visiter son navire, nous décrivait l’avancée technologique française en matière de recherches sous-marines. Il y avait à bord du sous-marin, ROV, tourelle de plongée et centre hyperbare avec ensemble de saturation, qui permettaient de maintenir et de développer un savoir-faire que nous enviaient toutes les Marines du monde.
Le Commandant nous fascinait par ses récits de plongée avec le Griffon, pour nous, simples palmipèdes. Nous communions tous deux dans ses explorations en profondeur avec un sous-marin, un rêve inaccessible…
Jean Pierre était invité comme expert Honoris causa en épaves non identifiées. Je dis Honoris causa, à l’inverse de Diplomae universiti : en effet, Jean-Pierre dit Jonjon pour quelques intimes, malgré son manque de diplôme universitaire, n’a jamais voulu appliquer le fameux principe d’Archimède sur les épaves de nos côtes, principe qui affirme dans les milieux autorisés : « Tout corps plongé dans un liquide est considéré comme perdu par manque de subvention ». De ce fait, doublant par son travail de bénévolat certaines personnes payées à l’année pour ces recherches, Jean-Pierre s’est fait de nombreux amis dans ces milieux autorisés qui ne supportent plus de le voir publier avant eux l’histoire de ces corps perdus…
Je m’égare… oui, nous étions avec Jean-Pierre invités de Max Guérout, lui pour ses connaissances des épaves de la côte varoise et moi pour mes humbles talents de photographe sous-marin. Max Guérout voulait avoir notre avis en vue d’éditer un document sur la découverte de l’épave du Torpilleur qu’il venait de trouver lors d’une mission de recherche avec le sous-marin Griffon.
Depuis cette rencontre historique dans ma vie de plongeur, nous sommes tous les trois restés profondément liés par notre passion et avons ensemble eu l’occasion de faire de nombreuses plongées, que ce soit avec Max Guérout dans le cadre du GRAN (Groupe de Recherche en Archéologie Navale) dans les magnifiques fouilles du Slava Rossii, de La Baleine ou de la Lomelina ; ou avec Jean-Pierre, au cours d’inspection de ses nombreuses découvertes.
C’est ainsi que nous entretenons une amitié fidèle depuis tant d’années…
Ce qui m’a toujours fasciné chez Jean-Pierre, c’est son souci du détail dans l’art de savoir faire parler un morceau de ferraille.
Exemple : écoutons-le avec sa voix très caractérisée de ténor sopranisant à qui on vient d’écraser par mégarde le gros orteil. « Tu vois cette plaque d’immatriculation de moteur, là, le premier numéro, c’est la référence de la pièce, le deuxième numéro c’est l’indication de l’usine de construction, puis il y a l’année, le mois, et enfin le numéro de série qui va nous permettre par les archives de retrouver l’immatriculation de l’avion, donc son histoire… ».
Cette passion dévorante engendre un travail de fou…
J’ai moi-même eu l’occasion de la pratiquer en réalisant quelques films sur l’histoire maritime, comme le Scapa Flow ou l’Alabama.
J’ai heureusement pu décrocher, sinon je serais encore en train de courir après les survivants du Royal Oak ou de l’U47…
Jean-Pierre, lui, y est jour et nuit et ne pense qu’à ça.
Heureusement pour lui, il a trouvé une épouse, Anne, qui est dévorée par la même passion (cela me rappelle un dicton provençal que ma grand-mère citait souvent : « Chaqué toupin trobé ça cabucelo » ; en français : « Chaque marmite trouve son couvercle »…). Pour eux, ça fonctionne, et ils ont même pris le temps de se reproduire… Et le résultat est magnifique… un amour de petite fille…
Donc il ne pense qu’à ça, et sa bagatelle à lui, c’est le monde des épaves ; plus elles sont inconnues et plus elles le fascinent et plus il cherche à en retrouver l’histoire…
Jean-Pierre fait partie des hommes qui donnent une dynamique et un crédit à la recherche historique et archéologique sous-marine en France, alors que nos scientifiques en poste s’engluent dans leur ego, bercés par le ronronnement de leurs 35 heures (pour certains, payés à l’année, c’est carrément 0 heure, car ils ne daignent même pas faire acte de présence à leur bureau), grâce à notre chère protection sociale… Suivant la devise chère à de nombreux fonctionnaires nantis par leurs diplômes : « Pourquoi travailler puisque de toute manière on est payé ».
Nos voisins, pendant ce temps, avancent en rigolant sur nos horaires de travail et maintenant nous surpassent en activité et compétence. Je le constate tous les jours par l’absence de Français, hormis les équipes en Égypte, dans les grandes missions scientifiques internationales couvertes par les médias planétaires comme Discovery ou National Géographic.
Mais où est donc l’équipe dynamique qui, dans les années soixante-dix, dirigeait les fouilles sur l’épave de Giens ?…
Heureusement, il nous reste les autodidactes, guidés par la vraie passion, et fidèles à la bonne parole de notre maître à tous, Philippe Tailliez : « L’enthousiasme est la première vertu ».
Bravo Anne et Jean-Pierre pour ce magnifique ouvrage.
Qu’il serve à rallumer la flamme chez nos jeunes afin qu’ils remplacent rapidement nos chers fonctionnaires en charge des épaves, assoupis dans leur suffisance léthargique. »
Christian PÉTRON